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Série de Lucens : analyse approfondie de l’accident

Dix ans après l’accident survenu à Lucens, la « Commission d’enquête sur l’accident de la centrale nucléaire expérimentale de Lucens » (UKL) remettait son rapport final. « L’incident », tel que les auteurs qualifiaient l’accident du 21 janvier 1969 était « très probablement imputable au comportement temporairement défectueux des joints d’étanchéité ».

1979 : dix ans après l’accident survenu à Lucens, la « Commission d’enquête sur l’accident de la centrale nucléaire expérimentale de Lucens » (UKL) sous la direction d’Andreas Fritzsche, directeur technique de l’Institut fédéral de recherche sur les réacteurs (IFR) à Würenlingen, remettait son rapport final.

Le couvercle a été découpé après l’accident.

« L’incident », tel que les auteurs qualifiaient l’accident du 21 janvier 1969 était « très probablement imputable au comportement temporairement défectueux des joints d’étanchéité des arbres des soufflantes principales de recirculation du caloporteur (dioxyde de carbone : CO2) », peut-on lire dans le rapport de la commission d’enquête. L’enquête a en effet révélé que les exploitants de la centrale nucléaire expérimentale de Lucens (CNEL) ont voulu mettre en service le 21 janvier 1969 et sans qu’ils en aient conscience un réacteur déjà fortement endommagé. Celui-ci aurait comporté des barreaux combustibles dont la gaine de magnésium était intégralement corrodée en certains endroits sous l’influence de l’eau. (Vers l’interview 1/3 avec l’ancien directeur de Lucens.)

L’eau corrode les gaines de magnésium

La commission d’enquête a notamment pu reconstituer le détail des événements survenus dans le réacteur avant et pendant l’accident, notamment par analyse des éléments endommagés. Cela a également nécessité de comprendre comment l’eau, qui a finalement entraîné la corrosion, a pu s’introduire dans le circuit primaire de la centrale. L’anomalie a pu se produire lors des travaux de révision et de transformation menés depuis le 24 octobre 1968. Ces travaux prévoyaient notamment la remise dans un état impeccable des joints tournants des soufflantes de recirculation du moyen de refroidissement (caloporteur) qui ont causé des soucis pendant longtemps aux techniciens. Il se pourrait que lors de cette opération plusieurs litres d’eau de barrage se soient échappés des joints tournants pour se déverser dans le circuit primaire.

Lors d’une marche d’essai avec la soufflante le 11 décembre 1968, l’eau se serait introduite dans plusieurs éléments combustibles, dont l’élément 59. Les gaines des barreaux combustibles de l’élément 59 ont ainsi été soumises à l’action de l’eau jusqu’au 17 janvier, soit peu de jours avant le redémarrage du réacteur. Cette eau a provoqué la corrosion des gaines de magnésium protégeant les barreaux combustibles d’uranium métal. La gaine a ainsi été intégralement rongée par endroits. Les produits de corrosion se sont alors accumulés en partie basse de l’élément combustible, provoquant ainsi le colmatage des canaux de circulation du gaz caloporteur.

 

Deux explosions à bref intervalle

Aperçu de l’intérieur de la cuve de l’élément combustible 59.

Lorsqu’à la remise en service du 21 janvier 1969 le réacteur a atteint la puissance de 12 MW, l’élément combustible 59 s’est trouvé insuffisamment refroidi du fait de la réduction du débit de CO2 inhérent au colmatage du tube de force. Plusieurs des sept barreaux combustibles de l’élément combustible 59 ont donc subi une surchauffe qui est d’abord passée inaperçue puisque les éléments combustibles n’étaient pas tous pourvus d’une sonde de température dans l’uranium. Lorsque la température a atteint 600 °C, la gaine de magnésium du barreau combustible central a fondu, suivie peu après par l’uranium métal qu’elle protégeait. Il s’est ainsi constitué une colonne de métal en fusion (avec l’uranium lourd en bas de colonne et le magnésium au-dessus). Ce processus de fusion a ensuite gagné de proche en proche les barreaux combustibles voisins. Et le métal s’est finalement enflammé dans le CO2, ce qui a provoqué une libération massive de produits de fission radioactifs dans le caloporteur et l’arrêt d’urgence automatique du réacteur.

Cette action de la commande a certes arrêté la réaction en chaîne nucléaire, mais pas l’incendie de l’élément combustible 59. La colonne de graphite a ployé, est venue au contact du tube de force voisin, l’a surchauffé et provoqué son éclatement sous l’effet de la pression de 50 bars qui y régnait lorsque la température a atteint entre 700 et 800 °C. Cette explosion a, dans un premier temps, rompu l’un des cinq disques de rupture du réservoir de modérateur. Par cette ouverture, 1100 kg d’eau lourde, un mélange en fusion de magnésium et d’uranium ainsi que du caloporteur contaminé ont été projetés dans la caverne de réacteur.

Une seconde après environ, une réaction chimique entre l’eau lourde (modérateur) et le métal en fusion a déclenché une seconde explosion. L’onde de choc a provoqué le blocage des barres de commande, alors déjà descendues, dans leur tube de guidage, mais sans toucher les barres de commande de sécurité particulièrement bien protégées (par des tubes renforcés). La surpression a entraîné la rupture des quatre autres disques de rupture du réservoir de modérateur, avec de nouvelles projections de matière radioactive dans l’écran biologique. Ce processus s’est poursuivi dans les minutes qui ont suivi, jusqu’à l’achèvement de la décompression du circuit primaire dans la caverne de réacteur.

 

Après les analyses, de nombreux points concernant la centrale nucléaire expérimentale devaient faire l’objet de vives controverses.

Il s’agit là du huitième d’une série de dix articles sur l’histoire de la centrale nucléaire expérimentale de Lucens. Vers la neuvième partie.

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