Avec l’accident de Fukushima-Daiichi à l’esprit, pratiquement tous les pays ont à nouveau examiné attentivement la sécurité de leurs installations nucléaires et leur surveillance nucléaire, et pour certains d’entre eux décidé de procéder à un virage dans leur politique énergétique. La Suisse a fait partie de ceux qui ont décidé de sortir de l’énergie nucléaire – les centrales nucléaires existantes peuvent pourtant continuer à être exploitées aussi longtemps qu’elles sont sûres. Sauf que la sécurité nucléaire n’est pas une question purement nationale. Les autorités de surveillance et la politique à travers le monde se sont demandé comment l’accident de Fukushima aurait pu être évité. La collaboration internationale a gagné en importance avec le travail de compréhension de l’accident de réacteur de 2011.
Conférence ministérielle : réexamen de la sécurité par la surveillance internationale
Une première conférence ministérielle s’est tenue à Paris les 7 et 8 juin 2011. Lors de la conférence, l’ancienne conseillère fédérale Doris Leuthard a demandé au nom de la Suisse, d’une part, que les événements au Japon soient analysés par des experts de l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) en collaboration avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et, d’autre part, que des experts internationaux externes examinent à l’avenir la sécurité des centrales nucléaires.
À Paris, les 30 États signataires ont préconisé de vérifier la base juridique dans les différents pays, notamment en ce qui concerne l’indépendance des autorités de surveillance, la sécurité de l’exploitation des centrales nucléaires et la conception des centrales nucléaires en ce qui concerne les risques naturels extrêmes, en particulier les tremblements de terre et les inondations.
Standards de sécurité de l’AIEA : imprime son rythme aux exigences nationales
L’AIEA a convoqué une conférence ministérielle à la fin du mois de juin. A la conférence, les événements de Fukushima ont été discutés : quels enseignements la communauté internationale peut-elle en tirer et comment le cadre réglementaire international en matière de sûreté nucléaire se laisse-t-il améliorer ?
A plusieurs reprises après Fukushima, la Suisse avait demandé une obligation mondiale de procéder à des réexamens systématiques de sécurité internationaux, comme cela existait déjà en Suisse – ce qu’on appelle les réexamens par les pairs. Toutefois, le Conseil des gouverneurs de l’AIEA à Vienne ne s’est prononcé qu’en faveur de missions d’experts internationaux sur une base volontaire. La Suisse a critiqué cette hésitation au vu des deux accidents de réacteur aux conséquences graves survenus à Tchernobyl et à Fukushima. Autant l’accident de réacteur de Tchernobyl en 1986 que celui de Fukushima ont été tous deux classés au plus haut niveau 7 sur l’échelle internationale des événements INES et donc comme un accident majeur.
Philosophie de rééquipement : « pas une voie facile » à l’engagement international
En vue de la Conférence extraordinaire d’examen de la Convention sur la sûreté nucléaire CNS en août 2012, la Suisse a proposé des améliorations à la convention internationale et à ses processus. Les propositions d’amendement suisses n’ont pas fait l’objet dans leur forme d’alors d’un consensus et n’ont donc dès lors pas été adoptées. Au lieu de cela, un groupe de travail a été formé pour élaborer des propositions visant à renforcer la Convention et ses processus. Les propositions du groupe de travail comprenaient de nombreuses mesures visant à améliorer la transparence, notamment en ce qui concerne les rapports à produire, ainsi qu’une proposition visant à étendre la CNS.
Cette proposition d’amendement a été soumise par la Suisse à la CNS : les nouvelles centrales nucléaires devraient être construites selon les standards de sécurité et les technologies les plus récentes. La sécurité des centrales nucléaires existantes devrait s’orienter sur ces normes et être continuellement améliorée. La modification proposée a été discutée lors de la Conférence d’examen de 2014 à Vienne. Lors du vote final, la proposition d’amendement suisse a obtenu la majorité des deux tiers nécessaires pour convoquer une conférence diplomatique.
« La Suisse a dû réaliser un important travail de persuasion. En même temps, il était clair pour tous les pays qu’après l’accident de réacteur de Fukushima, on ne pouvait pas simplement revenir à la normale sans tirer les leçons de l’événement et montrer une forte réaction internationale commune ».
Rolf Stalder, à l’époque représentant permanent de la Suisse auprès de l’AIEA à Vienne
« La voie vers la conférence diplomatique n’a pas été facile », se souvient Rolf Stalder, représentant permanent de la Suisse auprès de l’AIEA à Vienne à l’époque. « Nous avons dû réaliser un important travail de persuasion. En même temps, il était clair pour tous les pays qu’après l’accident de réacteur de Fukushima, on ne pouvait pas simplement revenir à la normale sans tirer les leçons de l’événement et montrer une forte réaction internationale commune ».
La conférence diplomatique a eu lieu à Vienne en février 2015 et était présidée par l’actuel directeur de l’AIEA, Rafael Mariano Grossi, alors ambassadeur d’Argentine à Vienne. Tous les pays participants se sont mis d’accord sur une déclaration commune : la Déclaration dite de Vienne sur la sécurité nucléaire. Elle contient les principes de sécurité qui ont émergé de la proposition suisse originale de modification de la CNS. Les nouvelles exigences ont été intégrées dans le processus d’examen de la CNS et leur mise en œuvre a fait l’objet d’un rapport lors des conférences d’examen des CNS.
« Les divers rééquipements de la sécurité à la centrale nucléaire de Beznau reflètent la culture de sécurité sur le long terme de la Suisse, qui est fondamentalement ancrée dans l’amélioration continue de la sécurité nucléaire ».
Rafael M. Grossi, directeur général de l’AIEA
Les principes de sécurité étaient similaires aux réglementations déjà existantes dans l’UE et en Suisse. Toutefois, elles ne sont pas juridiquement contraignantes. « Bien sûr, nous aurions souhaité un résultat juridiquement contraignant et une obligation internationale de mise à niveau, comme cela existe depuis longtemps en Suisse et dans l’UE », déclare Georg Schwarz, directeur suppléant de l’IFSN et chef de la division Centrales nucléaires. Cependant, sans l’accord des principaux pays producteurs d’énergie nucléaire tels que la Russie, les États-Unis, la Chine et l’Inde, les réglementations renforcées ne se seraient pas appliquées à une grande partie des réacteurs dans le monde. « La Déclaration de Vienne a été soutenue par tous les États contractants. Cela a confirmé que leurs objectifs de sécurité sont importants et qu’ils devraient faire partie du processus d’examen de la CNS », selon Georg Schwarz.
Pour des améliorations continuelles de la sécurité
Le directeur de l’AIEA, Rafael Mariano Grossi, qui est venu en Suisse en visite de travail en octobre 2020 pour se rendre compte par lui-même de la philosophie de la Suisse en matière de rééquipement, a fait l’éloge des pratiques de sécurité et de l’engagement international de la Suisse au lendemain de Fukushima : « Les diverses rééquipements de la sécurité à la centrale nucléaire de Beznau reflètent la culture de sécurité sur le long terme de la Suisse, qui est fondamentalement ancrée dans l’amélioration continue de la sécurité nucléaire ». Le fait que la Suisse continue à partager cette importante expérience avec ses partenaires internationaux, et en particulier au sein de l’AIEA, est significatif, a-t-il déclaré.
« La sécurité nucléaire a toujours la plus haute priorité pour la Suisse, même six ans après l’adoption de la Déclaration de Vienne ».
Benno Laggner, représentant permanent de la Suisse auprès de l’AIEA à Vienne
Le renforcement de la coopération internationale à la suite de Fukushima s’est également traduit par un engagement suisse à plus long terme. « La Déclaration de Vienne sur la sécurité nucléaire est le résultat d’une initiative suisse. C’est une étape importante vers le renforcement de la sécurité nucléaire mondiale, car c’est le seul accord international qui inclut le concept d’amélioration continue », déclare l’ambassadeur Benno Laggner, représentant permanent de la Suisse auprès de l’AIEA à Vienne depuis août 2018. « La sécurité nucléaire a toujours la plus haute priorité pour la Suisse, même six ans après l’adoption de la Déclaration de Vienne », a-t-il ajouté.
Responsabilité hors des frontières nationales
« Ce que nous avons appris des précédents accidents nucléaires, c’est qu’ils ne connaissent pas les frontières des États. Cela rend la coopération internationale d’autant plus importante pour l’amélioration commune de la sécurité nucléaire », déclare le directeur de l’IFSN, Marc Kenzelmann. « Nous tous devons veiller à ce que partout les exigences de sécurité les plus élevées soient visées», a-t-il dit.
« Ce que nous avons appris des précédents accidents nucléaires, c’est qu’ils ne connaissent pas les frontières des États. Cela rend la coopération internationale d’autant plus importante pour l’amélioration commune de la sécurité nucléaire ».
Marc Kenzelmann, directeur de l’IFSN
Bien que la Suisse ne soit pas membre de l’UE, elle a participé à toutes les mesures prises par l’UE à la suite de l’accident de Fukushima-Daiichi, que ce soit au test de résistance de l’UE (voir également « Dix ans après Fukushima (3/6) : le test de résistance de l’UE ») ou à la revue thématique par les pairs sur la surveillance du vieillissement en 2017.
Les missions internationales de réexamen tous les dix ans sont de plus inscrites dans la législation suisse. En octobre 2021, une mission IRRS de l’AIEA aura lieu en Suisse. Elle durera deux semaines. Dix à vingt experts examineront le travail de l’IFSN. Environ trois ans après une mission, une mission dite de suivi aura lieu. Il s’agira d’examiner la mise en œuvre des mesures d’amélioration qui ont été recommandées lors de la mission précédente.
Il s’agit de la cinquième partie de la série de publication de l’IFSN pour marquer le dixième anniversaire de la catastrophe de Fukushima-Daiichi. Dans la dernière partie, qui sera publiée le 11 mars 2021, le directeur de l’IFSN, Marc Kenzelmann, explique ce qui préoccupe encore l’IFSN aujourd’hui à la lumière de la catastrophe de réacteur. Le conseil de l’IFSN aura aussi son mot à dire.