Photo : Centrale nucléaire de Gösgen lors de la phase de construction au milieu des années 70.
Après la décision en 2011 du Conseil fédéral et du Parlement de sortir du nucléaire, la question de la durée de vie respectivement de la limitation de l’exploitation des centrales nucléaires est mise à l’agenda politique.
Le conseiller national Eric Nussbaumer (PS-BL) officie comme président de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national (CEATE-CN). Il a demandé au Conseil fédéral s’il existe « des normes, des directives ou des recommandations reconnues à l’échelle internationale qui définissent la durée de vie technique en fonction de la sécurité ou la fin de cette durée de vie ». Le parlementaire souhaitait savoir sur quelles bases légales s’appuie la durée de vie des centrales nucléaires suisses.
En Suisse comme en France, en Espagne, en Belgique et en Suède, les centrales nucléaires ne connaissent pas de limitation légale de la durée d’exploitation. La sécurité doit toutefois être garantie à chaque instant. L’exploitant est contraint de rééquiper et d’améliorer en continu la technique de sécurité de son installation selon l’état actuel de la science.
Le directeur de l’IFSN, Hans Wanner, souligne : « En Suisse, ce n’est pas l’âge d’une installation mais sa sécurité qui est décisive. » En vertu de la législation actuellement en vigueur, une centrale nucléaire peut être exploitée aussi longtemps qu’elle est sûre. Le Conseil fédéral l’a de nouveau confirmé dans sa réponse à l’interpellation Nussbaumer.
La loi suisse prévoit que chaque exploitant est responsable de la sécurité de sa centrale nucléaire. Pour cette raison, la durée de vie d’une installation dépend « tout particulièrement de l’inclinaison de l’exploitant à opérer les investissements nécessaires dans son installation », continue le directeur de l’IFSN. « En raison de la sécurité de la planification, il serait très utile à toutes les parties en présence que les opérateurs dévoilent publiquement jusqu’à quand ils souhaitent exploiter leurs installations. »
Des tâches clairement réparties
Selon la législation suisse, l’autorisation d’exploiter une centrale relève du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication. Il octroie à ce titre les licences. Le rôle de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) est de surveiller que l’exploitant remplisse sa tâche de manière complète.
Selon la loi sur l’énergie nucléaire, l’exploitant (le détenteur d’une autorisation) doit notamment :
- prendre des mesures afin de maintenir l’installation en bon état ;
- exécuter des examens supplémentaires ainsi que des évaluations systématiques de la sécurité pendant toute la durée de vie de l’installation ;
- conduire périodiquement une vérification de sécurité complète de la centrale nucléaire ;
- suivre le développement de la science et de la technique ainsi que les expériences d’exploitation d’installations comparables.
Les devoirs du détenteur d’une installation sont concrétisés dans l’ordonnance sur l’énergie nucléaire (OENu). Les exigences détaillées pour l’entretien, la surveillance du vieillissement et la vérification complète de sécurité couvrent les conditions spécifiques du rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur la gestion du vieillissement. Ce rapport se dénomme également « rapport SALTO » pour « Safety Aspects of Long Term Operation ».
Recommandations internationales concernant la durée de vie
Pour les aspects particuliers de l’évaluation de sécurité, des recommandations et standards issus de l’AIEA et de l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) existent. L’AEN est une institution de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Différents thèmes et aspects permettent de garantir une exploitation sûre des centrales nucléaires. En revanche, il n’y a aucune norme ou directive internationales définissant la durée de vie d’une centrale nucléaire du point de vue technique.
Au niveau international, deux manières de procéder garantissent la sécurité nucléaire durant toute la durée d’exploitation des centrales. Les conditions cadres et critères pour la réalisation de ces concepts sont définis dans les réglementations nationales.
- Autorisations d’exploiter limitées dans le temps
Aux Etats-Unis, en Finlande, en Grande-Bretagne et en Hongrie, l’autorisation d’exploiter est limitée dans le temps. Durant la validité de l’autorisation, son détenteur est certes obligé de réaliser certaines mesures d’amélioration sur la base de l’expérience d’exploitation ; il profite cependant d’une protection des acquis relativement importante. Durant la durée de l’autorisation, aucune vérification de sécurité complète n’est notamment exigée.
Le terme de l’autorisation d’exploiter se situe souvent après quarante années d’exploitation. Le détenteur d’une autorisation nécessite alors une nouvelle approbation. En vue de son obtention, de nombreux rapports d’exploitation et démonstrations sont à remettre aux autorités. Actuellement, plus de 50 centrales nucléaires disposent d’une autorisation d’exploiter prolongée à 60 ans. Plus de 20 autres installations ont déposé des demandes correspondantes auprès de l’autorité de surveillance américaine (NRC).
- Autorisations d’exploiter illimitées dans le temps
« En Suisse, ce n’est pas la protection des acquis mais la sécurité qui se trouve au centre de l’intérêt », retient Hans Wanner. Tout comme en Espagne, en France, en Belgique et en Suède, les autorisations d’exploiter ont été délivrées de manière illimitée. Dans ces pays, une centrale nucléaire peut être exploitée aussi longtemps qu’elle remplit les exigences de sécurité. En revanche, le détenteur d’une autorisation ne profite que d’une faible protection des acquis. Il doit améliorer en continu son installation et la rééquiper.
La vérification de l’état de l’installation est menée continuellement dans le cadre de la surveillance ordinaire. Elle a aussi lieu durant les réexamens périodiques de sécurité (RPS). Ceux-ci se déroulent au moins tous les dix ans. En plus de ces outils, des rapports d’expérience et d’événements ainsi que des démonstrations de sécurité spéciales sont à remettre à l’autorité de surveillance en vertu de la réglementation nationale spécifique. L’autorité examine les documents et émet une prise de position. Cet avis évalue l’état de l’installation et les démonstrations de sécurité de la centrale. Il liste également des requêtes supplémentaires pour des déficits et des questions ouvertes.
Recommandations internationales pour l’exploitation à long terme
Pour garantir une exploitation à long terme sûre de centrales nucléaires, les pays produisant de l’énergie atomique ont créé des recommandations avec le rapport EBP-SALTO de l‘AIEA. Les Etats sont enjoints à développer les bases légales pour le fonctionnement à long terme. Dans cette même optique, ils sont invités à soutenir la recherche et l’échange d’expérience. « La Suisse a mis en œuvre ces recommandations », confirme Hans Wanner.
Le rapport SALTO traite du vieillissement de la conception mais aussi d’aspects liés à la technique des matériaux. Essentiellement, quatre conditions doivent être remplies pour l’exploitation à long terme.
- Gestion du vieillissement : Il existe des programmes et mesures pour l’entretien et la surveillance du vieillissement. Ils tiennent compte des expériences d’exploitation interne et externe ainsi que de l’état de la science et de la technique.
- Etat des grands composants : Les démonstrations limitées dans le temps sont renouvelées. Elles concernent l’intégrité de la cuve de pression du réacteur sous la contrainte de chocs thermiques, l’intégrité du circuit de refroidissement principal en cas d’exploitation et de défaillance ainsi que l’intégrité de la paroi de l’enceinte à pression en acier sous l’effet de la corrosion.
- Analyses de défaillance : Les analyses de défaillance sont actualisées.
- Rééquipements : La conception est vérifiée sur la base de l’état de la technique de rééquipement.
Les deux premiers points concernent le vieillissement technique des matériaux. La surveillance du processus de vieillissement et le bon état de l’installation sont ainsi garantis. Les points trois et quatre relèvent quant à eux du vieillissement de la conception. L’installation correspond ainsi à l’état de la technique du rééquipement. Elle est aussi en mesure de maîtriser les incidents de dimensionnement.
A quel moment une centrale nucléaire doit-elle être mise hors service?
Une centrale nucléaire doit, selon la loi sur l’énergie nucléaire, être mise hors service provisoirement ou rééquipée si des événements ou constatations montrent que:
- le refroidissement des assemblages combustibles ne peut plus être garanti en cas de défaillance ;
- l’intégrité du circuit primaire n’est plus garantie ;
- l’intégrité de l’enceinte de confinement (paroi de l’enceinte de pression en acier et enveloppe de béton entourant le circuit primaire) n’est plus garantie.
Dans l’ordonnance correspondante du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, la différence est faite entre une mise hors service devant être opérée pour des raisons de défauts de conception ou de dommages dus au vieillissement.
En cas de constatation de dommages dus au vieillissement, le détenteur d’une autorisation doit effectuer immédiatement une mise hors service provisoire sa centrale nucléaire si les critères suivants sont remplis :
- les valeurs limites pour la fragilisation de la cuve de pression du réacteur sont atteintes;
- des fissures traversant la paroi des conduites du circuit primaire sont constatées ;
- l’épaisseur minimale de la paroi pour les conduites est atteinte ;
- l’épaisseur minimale pour la paroi de l’enceinte de pression en acier est atteinte ;
- les valeurs limites pour les fissures et l’effritement de l’enveloppe en béton de l’enceinte de confinement sont atteintes.
Les critères de mise hors service helvétiques basés sur des dommages dus au vieillissement correspondent dans l’essentiel aux données du rapport SALTO. Celui-ci contient les démonstrations limitées dans le temps pour la gestion du vieillissement de grands composants.
Si le soupçon demeure que des défaillances déterminées de l’installation ne peuvent plus être maîtrisées ou s’il apparaît que les hypothèses de risque prises en compte pour l’autorisation de construire ont été modifiées, le détenteur d’une autorisation doit vérifier la conception de sa centrale nucléaire. Un tel examen peut aussi être ordonné par l’autorité de surveillance à chaque instant. « L’IFSN a par exemple requis plusieurs démonstrations de la part des exploitants à la suite de l’accident de Fukushima », explique Hans Wanner.
Les analyses de défaillance doivent notamment être renouvelées. La centrale nucléaire doit immédiatement être mise hors service provisoirement si l’examen montre que les valeurs limites de dose prescrites par l’ordonnance sur la radioprotection ne sont pas tenues. Il existe donc une base légale correspondant aux exigences SALTO dans le droit suisse.
La quatrième exigence SALTO est couverte par le devoir de l’exploitant de rééquiper son installation. Pour cet élément, l’expérience issue par exemple d’événements dans des centrales nucléaires suisses ou étrangères ainsi que l’état de la technique de rééquipement sont décisifs. En plus de cela, des rééquipements doivent être entrepris pouvant contribuer à diminuer le risque. Ces travaux doivent également être adaptés. Des rééquipements sont par exemple l’insertion d’un système de décompression filtrée pour prévenir une défaillance de l’enceinte de confinement, l’incorporation de recombineurs pour éviter des mélanges de gaz explosifs dans l’enceinte de confinement, la construction de possibilités de conduites d’eau supplémentaires dans le circuit primaire, dans l’enceinte de confinement et dans la piscine de stockage des assemblages combustibles en vue de réduire les conséquences radiologiques en cas d’accidents de fusion du cœur.
La durée de vie du dimensionnement
La durée de vie du dimensionnement des équipements techniques d’une centrale nucléaire est fixée avec les exigences dans les prescriptions de construction pour le domaine nucléaire. Les valeurs de sécurité fixées sont par exemple atteintes en raison du vieillissement ou de l’élévation des hypothèses de risque. Dans un tel cas, les éléments de construction ou les composants sont soit à remplacer soit à rééquiper. Les valeurs de sécurité sont fixées différemment pour l’exploitation normale et pour des incidents de dimensionnement. Elles tiennent déjà compte lors de la conception des effets connus du vieillissement des matériaux.
Les prescriptions de construction en matière de nucléaire sont spécialement valables pour le domaine des centrales. Elles le sont en particulier pour les matériaux inscrits. Ces prescriptions contiennent notamment des exigences pour la planification, la fabrication et le montage de conteneurs et de conduites classifiés au niveau de la sécurité. Leur entretien et les contrôles spéciaux de matériaux sont aussi inclus. Dans les pays abritant une industrie de fabrication et de construction de centrales nucléaires (Etats-Unis, France, Allemagne, Japon), des prescriptions de construction dans le domaine nucléaire se basent sur différents concepts de sécurité.
Etant donné que des centrales nucléaires en provenance des Etats-Unis et d’Allemagne sont exploitées en Suisse, les prescriptions de construction des Etats-Unis (codes ASME) et d’Allemagne (réglementation KTA) sont autorisées par l’autorité pour les centrales existantes.
Durée de vie maximale en fonction de la sécurité technique
« L’évaluation prévisionnelle du statut futur de sécurité est un élément important pour l’exploitation à long terme d’une centrale nucléaire », explique Hans Wanner. Dès quarante années d’exploitation, les exploitants doivent rendre d’une part les documents du réexamen périodique de sécurité. Ils remettent d’autre part une démonstration pour l’exploitation à long terme. L’exploitant doit y démontrer que les limites de dimensionnement des parties de l’installation importantes pour la sécurité ne sont pas atteintes même en cas de fonctionnement prolongé.
La fragilisation de matériaux due aux radiations est perçue comme mécanisme de vieillissement important pour les composants difficilement ou non remplaçables. Les différentes sortes de phénomènes de corrosion comptent également.
Pour l’exploitation à long terme, l’IFSN requiert donc le renouvellement de démonstrations limitées dans le temps. Ces démonstrations concernent :
- la sécurité en matière de rupture de matériaux pour la cuve de pression du réacteur,
- la sécurité relative à la fatigue pour les conduites et conteneurs,
- l’exclusion de la rupture de conduites du circuit de refroidissement principal et
- l’intégrité de l’enceinte de confinement.
Toutes les démonstrations doivent être conduites d’après le niveau actuel de la science et de la technique. Elle offre par avance un aperçu pour l’état de matériaux prévu dans les prochaines dix années supplémentaires d’exploitation. Il doit alors être démontré que les limites de dimensionnement des parties de l’installation importantes pour la sécurité technique ne seront pas atteintes lors de la durée d’exploitation prolongée. Cette condition est également valable pour les critères de mise hors service de l’ordonnance du DETEC en ce qui concerne l’intégrité du circuit primaire et de l’enceinte de confinement. Si ces démonstrations ne peuvent pas être apportées, le détenteur d’une autorisation doit mettre provisoirement sa centrale hors service et la rééquiper.
Deux phénomènes de vieillissement
Pour la sécurité d’une centrale nucléaire en fonctionnement à long terme, deux phénomènes de vieillissement sont en principe à considérer:
- Vieillissement technique des matériaux
En cours d’exploitation, des processus physiques d’usure et de vieillissement ont lieu. En conséquence, des composants peuvent ne plus correspondre à leur dimensionnement originel. Les plus importants mécanismes de vieillissement sont la fragilisation résultant des radiations, la fatigue, la corrosion et la corrosion fissurante. Des dommages de vieillissement se développent normalement de manière prévisible. Ils peuvent être suivis avec les programmes de surveillance correspondants.
- Vieillissement de la conception
La science et la technique évoluent. En conséquence, les bases de conception d’une centrale existante se différencient toujours plus de celles employées pour des installations de nouvelle génération. Les différences peuvent être amoindries par des rééquipements. En outre, des événements, des constatations ou de nouvelles connaissances scientifiques peuvent montrer que la conception de départ ne reposait en partie pas sur des bases conservatives selon l’état actuel de la science. Ces éléments expliquent pourquoi une centrale ne se comporte pas comme prévu au départ. Du moment que les défauts de conception sont identifiés, les analyses de défaillance sont à analyser. La centrale doit alors éventuellement être rééquipée.
Les connaissances issues de la recherche et des expériences d‘exploitation dans les centrales suisses et étrangères sont acquises sur de nombreuses années. Sur cette base, le vieillissement technique des matériaux se laisse en général bien prévoir. En conséquence, des mesures visant à réduire ou à éliminer les procédés de vieillissement sont exécutés de manière continue par le détenteur d’une autorisation. Le respect des exigences de la prescription de construction est ainsi garanti pour la durée d’exploitation au-delà de 40 ans. Il existe alors aussi l’assurance de ne pas atteindre les critères de mise hors service de l’ordonnance du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication. Les démonstrations d’exploitation à long terme doivent être apportées en avance pour la prochaine période d’exploitation (de cinq ou dix ans).
Examens prévisionnels
Une définition exacte d’une durée de vie selon des critères de sécurité n’est pas prévue dans le concept d’autorisation d’exploiter illimitée, de vérifications continues de la sécurité et de rééquipements. La durée de vie maximale du point de vue de la sécurité des centrales helvétiques dépasse les 50 années d’exploitation selon l’état actuel des connaissances. Cette affirmation est à vérifier si, sur la base du vieillissement du dimensionnement, des hypothèses de risque plus élevées, des constatations issues d’événements, de nouvelles connaissances issues de la recherche ou un état actualisé de la technique du rééquipement sont disponibles.
Grâce à un examen prévisionnel pour une exploitation à long terme, des raisons éventuelles de mise hors service peuvent être identifiées suffisamment tôt. Les exploitants et les autorités ont une avance suffisante pour aborder la désaffectation définitive de manière anticipée et orientée sur la sécurité.